SOMMAIRE
A. INTRODUCTION
B. LA MONDANITÉ
1. Les catégories du sujet : l’avoir et l’être
2. Les catégories de la relation : la possession et le renoncement
3. Les catégories personnales : l’extériorité et l’intériorité
C. HORIZONTALITÉ DE L’EXISTENCE
1. Le quotidien
2. La multiplicité du désir
3. L’eros ou l’agape
4. Le doute
D. LA VERTICALITÉ DE L’EXISTENCE
1. Les prémisses du renoncement
2. Le premier opérateur noétique : l’éthique
3. Le deuxième opérateur noétique : la tempérance
E. LA PROFONDEUR DE L’ETRE
1. Le flux imaginaire
2. La vacuité
3. L’absolu
4. Le Soi
F. LA PENSÉE CRÉATRICE
1. L’acte de penser
2. L’intuition
G. CONCLUSION
H. NOTES
I. BIBLIOGRAPHIE
L’ homme contemporain est un homme dont la vie intérieure est morcelée, quand elle n’est pas encombrée d’objets divers qu’on appelle préoccupations du quotidien, attachements excessifs, servitudes ou dépendances de toutes natures. A défaut, la vie intérieure, pour éviter de sombrer dans le néant, se réduit à une consommation d’objets hétéroclites, images, sons, paroles. Ces objets remplissent l’homme contemporain, le gavent plus qu’ils ne le nourrissent, lui évitent de se confronter à lui-même, se substituent à sa capacité de penser quand ils ne lui donnent pas l’illusion d’exister, parfois au travers des autres.
L’auteur de l’Homme intérieur se confronte aux interrogations métaphysiques que sont la mort, la solitude, l’identité et le devenir de l’être. Elles sont marquées par le fonctionnement de la société contemporaine, pour mieux nous asservir, avec bien souvent notre complicité permanente.
L’élévation du niveau de vie a amélioré notre quotidien, matériellement, même si ce n’est pas le cas pour tout le monde. Depuis quelques années, nous découvrons que notre quotidien peut être menacé à tout moment. Les liens qui nous relient à ce quotidien sont fragiles. Ils peuvent être fragilisés à la suite d’une modification de notre statut professionnel, familial ou de notre état de santé.
Comment se fait-il que ce que l’on croyait pérenne, puisse être remis en question ? Comment se fait-il que l’on soit si démunis face à de tels changements ? Que l’on soit si fragilisés face à la souffrance, face à la mort d’un être cher ? Comment donner un sens à une existence qui ne soit pas l’objet d’aléas, à commencer par les déboires relationnels, sentimentaux, socio-professionnels, etc ?
La quête du sens est ce qui anime l’homme intérieur. Il ne s’agit pas de ces multiples sens que l’on peut donner à notre existence, au travers d’habitudes, d’objectifs ou d’intérêts divers. Il s’agit de trouver le sens qui va orienter notre existence, lui permettre de connaître la joie et de l’installer durablement en soi. Un sens qui transcende le devenir humain et qui soit communément partagé.
Quel intérêt avons-nous à vivre si le néant est au bout du chemin ? Cette question génère une profonde angoisse et la réponse que nous y apportons conditionne notre manière de vivre. Notre engagement au quotidien et envers les autres, le respect envers nous-même seront différents selon la conviction que nous avons ou non d’un après. Ce n’est pas la culpabilité qui nous guide mais le rejet de l’absurde. La conscience qui nous est donnée en même temps que la vie, pourquoi devrait-elle retourner au néant, alors que nous disposons à tout instant de la capacité de faire, de penser et d’agir par l’intention ? C’est le rejet d’un mode de penser matérialiste qui nous anime. Il tente de nous présenter l’existant comme des évidences, comme ce qui va de soi, pour mieux asservir les consciences.
Notre société contemporaine est fondée sur cette conception matérialiste, d’où ses visées à courtes vues, cette frénésie de consommation d’objets, d’images, de paroles, de corps venant combler un manque à être. Ce mode de vie se substitue à notre capacité de penser et nous empêche d’accéder à la maîtrise de notre existence. Celle-ci passe par un refus du trop plein qui engorge plus qu’il nourrit, qui asservit plus qu’il ne grandit.
La multiplicité des désirs conduit à des attachements divers qui génèrent de la souffrance face à l’éparpillement, au manque, à la perte de soi-même. L’homme intérieur au contraire est celui qui s’engage de manière délibérée dans la voie du renoncement, se mettant au service de l’être, de la vie. L’éthique fonde son engagement et la tempérance le module.
Il inaugure l’Homme Nouveau qui dispose pleinement de sa liberté intérieure. Il ne sacrifie pas aux modes passagères, ne souscrit pas aux mouvements grégaires. Il n’en ressent pas le besoin, puisant sa force intérieure dans un ailleurs qui le nourrit en permanence, l’inspire.
L’homme intérieur a su affronter ses angoisses, ses peurs, se confronter à ses erreurs, ses faiblesses. Il a appris à s’accepter pour mieux s’améliorer, dès lors qu’il a découvert que la loi d’amour, en tant que respect de l’autre et de soi-même, est ce qui doit structurer la condition humaine dans ses rapports extérieurs, comme dans sa dimension intérieure.
Il s’effectue ainsi une transformation intérieure des émotions et ressentis divers, de l’imagerie intérieure, sous l’effet du renoncement, vers une purification de plus en plus marquée, faisant émerger la puissance de l’esprit. Car, au terme du parcours, quand les représentations s’estompent, au cœur de l’expérience de vacuité, émerge l’esprit dans un bouillonnement incessant. Dans cette rencontre et communication permanente avec la lumière intérieure, en tant que source d’énergie-information, la pensée trouve à se renouveler, d’autant qu’elle découvre que l’activité de penser provient de cette source.
Il s’ensuit que l’homme intérieur revendique un nouveau fondement à la pensée. Elle ne se réduit pas à des représentations communes ou idéologiques. Elle est en permanence créatrice, productrice de sens et dispose de capacités supérieures à ce qui est communément admis. L’intention qui préside à l’activité de penser, à l’issue de ce parcours, élargit considérablement les capacités de conscience et accroît notre liberté d’action.
L’homme intérieur, insoumis par nature, se met au service de l’esprit car c’est de lui et de lui seul qu’il tient sa liberté.
Extraits
« La frénésie des investissements ne comble en rien l’angoisse métaphysique sous-jacente, elle ne fait qu’en retarder la manifestation qui sera d’autant plus bruyante le moment venu. Notre société qui en arrive à fonder sa légitimité sur une logique économique, au travers de ses rapports fondamentaux entre la production et la consommation, l’offre et la demande, suscite chez l’être humain des comportements boulimiques induisant des conduites de dépendance de diverses natures. Celles-ci peuvent concerner le rapport spécifique à un objet ( produits psychoactifs, aliments, images télévisuelles, appareils sonores, jeux), intéresser certaines parties du corps ( appareil respiratoire, digestif, génital), sur fond de surstimulation des récepteurs sensoriels, entretenir des états modifiés de conscience de façon artificielle comme dans les toxicomanies ou dans l’asservissement à une cause ( idéologies religieuses, philosophico-politiques, démarches sectaires). Le fond commun à ces dépendances est une conduite de fuite de soi-même.
Si ces conduites ont toujours existé, elles ont tendance à se multiplier et à se développer rapidement. Elles sont l’expression non seulement d’un malaise socioculturel mais aussi de drames individuels qui inscrivent jusque dans le corps, le sentiment d’absurde de l’existence. Ces témoins de l’absurde ne sont pas sans interroger en permanence, par leur présence, le mode de fonctionnement d’une société et même si leur drame est déterminé en partie par des facteurs intrapsychiques, ceux-ci sont conditionnés par des facteurs socio-économico-culturels. Au demeurant, la responsabilité n’en est pas moins collective (…).
Le mouvement de renoncement s’effectue en corrélation avec un processus de désinvestissement portant sur le monde environnant et seulement sur quelques objets ou un secteur d’activités. Il inaugure une attitude différente de l’être à l’égard du monde et trouve sa légitimité dans le manque provenant d’un désir jamais assouvi, l’absence de sentiment de complétude pouvant trouver ses premières manifestations dans l’histoire du sujet, elles-mêmes relayées par le doute et le sentiment d’absurde. Il ne s’agit pas de prolonger un mode de fonctionnement vécu dans le passé, par un déplacement des investissements quant à leur objet et leur nature. Le renoncement doit se porter sur la représentation que nous nous faisons du monde et de l’existence et sur le vécu d’attachements qui, jusque-là, lui apportait consistance et valeur (…).
Le pneuma est une donnée de la nature humaine, il en est la condition primordiale, car immortel. Il peut rester à l’état latent ou être activé, en fonction des conditions et des choix existentiels. Nous avons identifié le pneuma au Soi, comme le corps énergétique à l’âme. Entre le Soi et le corps énergétique constitué de plusieurs enveloppes, c’est une question de gradients et non de limites. Le corps énergétique est une émanation du Soi individuel, comme ce dernier du Soi divin.
Quelle est la place de la pensée dans cette conception ? En tant que pensée pure, acte de penser en lien avec le corps énergétique ou émergeant de l’expérience de la vacuité, elle se confond avec le Soi, le pneuma, l’esprit. Il s’agit ici de l’acte de penser ou conscience pure et non pas de la pensée telle que nous la concevons actuellement, comme activité psychique donnant lieu à un champ de représentations. La différence est fondamentale car dans l’acte de penser ou pensée pure réside le pouvoir de la pensée, contrairement à la pensée réduite à l’activité représentative ».